Écrire à partir de « Pas vu Maurice » de Laurence Hugues

Cette semaine, Renée Combal-Weiss vous propose d’écrire à partir de « Pas vu Maurice » de Laurence Hugues (Éd. Créaphis 2019). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1500 signes maxi espaces inclus*) jusqu’au 25 mars 2020 à :atelierouvert@inventoire.com

(*) La version de votre texte doit être envoyée sous Word ou équivalent et mentionner votre nom en haut de page – pas de fichier PDF accepté

Extrait commenté

Sur la table du libraire, je saisis l’objet. Le charme d’un objet façon « vintage ». D’un carnet qui aurait servi. C’est un livre : Pas vu Maurice. Du noir râpeux de la couverture, des lettres argentées émergent des visions délavées de draperies funéraires aux porches des maisons des morts. Autrefois. Peut-être une mise en abyme de l’intention de l’auteur ? Alors j’ouvre le carnet-livre. Des photos intenses. Des textes dépouillés. Des textes dépareillés, appareillés. Des blancs de pages. Je lis :

2011

Au seuil

une pierre de granit. Balayée.

Une porte bleue, d’un bleu plus clair

que les pantalons de travail mis à

sécher sur le fil, plus foncé que les plis de la robe de la Vierge dans sa

niche au-dessus de la grange.

Un crépi sale.

Derrière, la montagne.

Les fougères, les genêts, les sapins.

Le renard

Comme tout objet qui a servi, le « carnet-livre » est dépositaire d’une trace. Il restitue les extraits d’un journal de maison comme il s’en tenait autrefois dans toutes les fermes. Un relevé elliptique du quotidien dans une orthographe négligée. Il s’agit ici de carnets empilés dans une boite en fer verte trouvée dans une maison abandonnée au fond d’un hameau situé au milieu de nulle part dans le Forez. « jeudi 1er octobre 1998 – Nuageux. M. fait feux chats poules bois. Pas vu Maurice de tout le jour, chasse. A midi donner à tous les lapins. 1 p pissenlit 1 p pommes. Laver toute la laine. Fait lits » (p.61). Quinze carnets rédigés de 1984 à 2000, d’une écriture serrée, économe. Si serrée qu’elle ne laisse voir du papier que la trace d’une dentelle pâle et dévorée. La trace de la vie passée, dépassée de Marie. Et c’est Laurence, l’auteur, qui, par la résonance de cette vie disparue avec la sienne nous en rend la profonde vitalité. Laurence Hugues, dont la mère était la voisine de Marie quand elle était elle-même enfant. Revenue dans la maison maternelle elle a eu cette chance d’être la destinataire involontaire des carnets abandonnés et d’entrer en résonance avec l’auteur et sa vie palimpseste. Car il n’y a de trace que s’il y a quelqu’un pour la lire.

Le Temps, objet du livre ou le livre, objet du Temps ?

Le texte

« Pas vu Maurice », c’est un livre à la fois hors d’âge et un livre au cœur de notre modernité. Le sous-titre « chronique de l’infraordinaire » est un hommage direct à Georges Perec et nous permet de glisser dans l’humble vie rurale à travers le compte-rendu lapidaire du cycle des travaux et des jours, où seuls les êtres proches bougent, vont, viennent, puis s’en vont définitivement sans autre forme de procès. « mars 1987 Cousu. Repasser. Jean enlever neige toit grange, école, hangar. Riz au lait. Lever le jambon. Beurre. Le soir pas de lumière. Commencer d’avoir mal aux dents. Joue enflée. Simon venir donner eau bénite. Visite médailles vaches. Dr B donner piqûre.50 cm de neige.

Mars 1990 Nanou soins intensifs. Plus quitter.

17 mars Nanou mort depuis 6h1/2. Gelée blanche ». (p.16)

Il en résulte une écriture essentielle, autre mise en abyme, cette fois de la solitude ontologique de l’être humain, dans le cadre très ordinaire d’une solitude sociale et rurale. L’impressionnante modernité de ces textes est amplifiée – et réciproquement – par les photos humbles et puissantes de Claude Benoit à la Guillaume.

On se rappellera cette remarque de Camille Laurens : « les mots sont faits de notre vie qui sédimente ».

La voix de Laurence Hugues – elle-même prise fugitivement dans la litanie des jours de Marie qui la regardait vivre en bonne voisine depuis l’autre côté de la route – nous offre quelques prolongements dérisoires et essentiels : Joseph qui conduisait les bœufs, le cochon, les papiers peints, les châtaignes, les plats locaux, les pompes aux pommes, la soupe dorée dont même la recette s’est perdue, alors que le souvenir en reste dans la mémoire gustative des vieux habitants. A travers ce dialogue à deux voix avec Marie, elle nous invite à sentir les vertiges de notre époque prise par l’urgence de vivre en poésie une humanité sobre face à notre monde dénaturé au bord de l’autisme social.

Et puis il y a Maurice. Le neveu du côté du défunt mari. Présent très souvent, de plus en plus souvent. Et même présent quand il ne vient pas : pas vu Maurice. Cette écriture elliptique nous donne tant à penser, peut-être dérisoire et peut-être essentiel ; à chacun de restituer aux silences de Marie la couleur qu’ils nous inspirent.

Proposition d’écriture

Donnons la parole à celui qui pourrait nous éclairer plus sûrement que quiconque : le carnet. Il en a vu des choses sur le visage penché de Marie pendant que se brodait et se rebrodait sur sa peau à lui des mots nets, lapidaires, des météos du jour, des animaux, des fruits et des légumes et des menus et des noms de voisins … Il en a entendu des pensées, et des mots indicibles … Et bien sûr il a forcément connu Maurice …

Il le murmure d’ailleurs : Écoutez :

« Je les ai bien connus. Je les ai bien connus, tous …

Je vous propose d’écrire la suite de la confidence du carnet. Chemin faisant peut-être ferez-vous émerger une autre mise en abyme : celle d’un Temps suspendu dans l’intériorité de Marie qui reste la matière palimpseste vivante de ce bel objet littéraire.

L’auteur

Laurence Hugues écrivaine et cinéaste, auteure de plusieurs films documentaires et vidéo-poèmes, a travaillé aussi au théâtre en France, en Suisse et en Inde. Ses textes ont été publiés en revue et dans des ouvrages collectifs. Elle est élue écologiste dans le 3ème arrondissement à Paris et Ambassadrice Nature du Parc Livradois-Forez.

« Pas vu Maurice » de Laurence Hugues. Éd. Créaphis 2019

R.CW

Renée Combal-Weiss, journaliste, professeure de lettres. Ses prochaines formations ici : Module 6 – Reprendre et finaliser un texte du jeudi 23 avril 2020 au jeudi 11 juin 2020