Cette semaine, Arlette Mondon-Neycensas vous propose d’écrire à partir de l’ouvrage de Jeanne Benameur intitulé L’exil n’a pas d’ombre (Bruno Doucey, 2019). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1500 signes maxi) jusqu’au 24 janvier à l’adresse : atelierouvert@inventoire.com
Extraits
Chaque matin je me réveille
Et la nuit ne m’a rien appris.
J’ignore toujours tout
de chacun
de mes pas.
Est-ce que le temps n’apprend rien ?
Avant
quand j’entendais encore la nuit chanter
au seuil de ma porte
aucune question ne me venait
j’étais juste quelqu’un
qui dort
et se réveille.
Je ne sais pas
si
je regrette.
Pourquoi marcher encore ?
Et si tout ma vie
toute
tenait dans les pas
que je fais
là ? (…)
Tout mon corps me tire en avant.
En avant.
Je sais
que depuis que j’ai commencé
à vouloir connaître,
je ne peux plus
m’arrêter.
Mes yeux guette l’horizon.
C’est ma rage.
Toute ma rage.
Celle qui me fait me réveiller parfois
en pleine nuit
et taper le pied dans le sable (…)
Il n’y a que dans le livre
que j’arrivais
à marcher
en
paix (…)
L’homme s’est levé.
Il a pris une pierre dans une main et l’a lancé en l’air. Sans
hâte il l’a rattrapée. Il a recommencé. Une fois, une autre.
Encore.
Puis il s’est assis.
Il regarde la pierre. Est-ce qu’elle est plus légère d’avoir été
Lancée ?
Est-ce que si on l’a repose dans le sable, on voit à quelque
chose de neuf, que cette pierre là n’est plus la même, n’est
Plus comme les autres ?
Elle a été lancée.
Proposition d’écriture
Je vous invite à inventer d’abord un personnage féminin. Elle part sur les chemins de l’exil. On ignore les raisons de son départ, mais peut-être l’entendrons-nous, le devinerons-nous dans ce que vous en direz, dans votre écriture. Puis vous construirez un second personnage, masculin cette fois-ci. Il suivra cette femme, il la protégera, silencieusement, sans qu’elle ne le sache. On ne connaitra rien de leur passé, vous pourrez cependant, comme le fait Jeanne Benameur, donner quelques images qui nous laisseront imaginer le mystère de leur exil. Ni l’un ni l’autre n’auront de nom.
Lorsque l’on observe la mise en page de ce court recueil, on remarque que les fragments concernant la femme sont écrits de façon « verticale », sous forme d’une prose poétique.
Les fragments concernant l’homme sont plus étirés et sont écrits de façon « horizontale » ce qui évoque une écriture plutôt narrative.
• Premier temps
Je vous propose d’écrire l’exil de la femme au « je », avec des phrases courtes, interrompues par de fréquents retours à la ligne. Jouez avec les répétitions et les variations. Dans ce fragment, faites entendre ses questions, donnez à voir ses images, ses visions.
• Deuxième temps :
Je vous propose à présent d’écrire un second fragment du point de vue de l’homme, au « il ». La voix de cet homme va se déployer dans une écriture narrative. Il est l’ombre bienveillante de la femme qu’il suit. Sa voix nous en fera appréhender le mystère.
Dans le texte de Jeanne Benameur l’homme et la femme traversent un désert sans qu’ils ne se rencontrent. À la fin du récit seulement, ils se rejoindront devant la mer.
Vous aussi pouvez inventer le lieu où ils se retrouvent.
Lecture
Jeanne Benameur est l’auteure de nombreux romans – Les demeurées (2000), Laver les ombres (2008), Les insurrections singulières (2011), ce qui pourrait nous faire oublier qu’elle a d’abord publié de la poésie : pour la première fois en 1989 aux Éditions Guy Chambelland avec Naissance de l’oubli, puis aux Éditions Bruno Doucey.
L’exil n’a pas d’ombre est un recueil de fragments poétiques, mais il pourrait s’agir aussi bien d’une fable ou d’un récit initiatique. Il nous raconte le trajet dans le désert d’une femme, qui a quitté son village parce que le livre de son enfance a été déchiré. Elle entre alors dans le langage. Son exil est celui de toutes les femmes qui tentent dans le monde d’aller vers la liberté, à travers la lecture et l’écriture.
L’homme qui la suit, lui, ne sait pas lire les signes écrits sur une page. Mais il sait déchiffrer ceux du ciel, du vent, des herbes, des traces d’animaux. L’auteure nous révèle une minuscule bribe de la vie de cet homme grâce à cette image : il dort allongé près d’un puits, pas loin de la maison de la femme.
J’ai été sensible au lien invisible qui relie ces deux personnages que tout sépare. Que peuvent avoir en commun un homme qui ne sait pas lire les signes écrits sur une page et une femme qui choisit l’exil parce que le livre de son enfance a été déchiré ?
L’ellipse narrative permet au lecteur de s’approcher de l’intériorité des personnages, sans toutefois découvrir leur secret. On les accompagne dans la lenteur de leur marche en faisant nôtre la question de l’auteure : Est-ce qu’on apprend en marchant ? C’est dans les espaces ouverts par cette écriture « trouée » que peuvent se loger nos propres interrogations. Chacun dans sa vie a vécu l’exil, l’exclusion, jusqu’au jour où les signes du ciel et les signes écrits sur les pages se rejoignent sous le soleil, à l’endroit même où : « Nos corps n’ont plus d’ombre ».
Arlette Mondon-Neycensas conduit des ateliers d’écriture pour ALEPH-ÉCRITURE à Bordeaux. Elle propose des ateliers ouverts, ponctuels, à France Langue et à la librairie La Machine à lire, dont « Écrire avec les peintres de l’intériorité: Hammershoi – Vuillard – Hopper » le 14 janvier à Bordeaux. Elle conduit des ateliers à distance, sur la Nouvelle Flash du 10 février au 6 avril 2020 et sur la Nouvelle à chute du 10 février au 4 mai 2020.