Cette semaine, Sylvette Labat vous propose d’écrire à partir du roman de Laurent Gaudé, Salina, les trois exils (Actes Sud, 2018). Envoyez-nous vos textes (un feuillet standard ou 1500 signes maxi) jusqu’au 3 avril à l’adresse : atelierouvert@inventoire.com.
La version de votre texte doit être envoyée sous Word ou équivalent – caractères 12, en indiquant en haut votre nom. Nous n’acceptons pas de fichier PDF.
Extraits
« Moi, Malaka, fils de la femme qui haïssait son enfant, je ne peux pas raconter la longue chaîne des jours qui passent avec lenteur et pourtant il faudrait. Je ne peux pas trouver un mot pour chaque instant du quotidien qui est une menace, une humiliation, une violence, et pourtant il faudrait, pour dire la torture de se sentir mourir lentement, enfermée dans une vie qui vous a été imposée. Pour dire la violence d’un mot, d’un coup. La présence de Saro n’est que brutalité. Il faudrait dire tout : l’usure, la colère et la tristesse de chaque jour. Il faudrait, sans quoi on ne peut pas comprendre la haine qui s’accumule. Il y a une jeunesse arrachée et un corps violenté. Il y a un visage que l’on humilie, sans cesse. Il faudrait trouver des mots pour cela : le sentiment que la vie ne sera plus que résignation et que cela sera long, infiniment long, jusqu’au tombeau… »
À un moment de l’histoire – je ne vous en dévoile pas trop – Salina se prend à espérer que sa vie change, mais tous se retournent contre elle. Elle est bannie, encore une fois, condamnée à la solitude et à l’errance dans le désert. C’est alors que sa colère enfle démesurément et la pousse à se venger d’une façon extrêmement violente et durable.
« Sa victoire tient là, au creux de sa main, et fait un bruit de cailloux qui s’entrechoquent. Une fois la cérémonie achevée, elle regarde les vertèbres avec avidité et dit à son fils : ‘Regarde, fils, c’est cela qu’ils vont chercher partout maintenant. Ils seront prêts à arpenter chaque parcelle de terre, à fouiller le sable des dunes pour retrouver les os de leur père. Je les cacherai un à un aux quatre coins du désert, dans des endroits connus de moi seule. Je les enfouirai dans le sable et les dunes elles-mêmes finiront par les oublier’… »
Proposition d’écriture
Salina est une orpheline dont on ignore les origines. Elle a été déposée par un mystérieux cavalier au seuil d’un village en plein désert. Amoureuse de Kano, le fils cadet du chef de clan, elle est forcée d’épouser l’aîné, Saro, un guerrier brutal. Salina, « la femme salée par les pleurs, condamnée à naître et à mourir en marchant dans des terres inconnues », connaîtra ainsi trois exils (ou bannissements) et aura trois fils « un fils haï, un fils de la colère et un fils pour tout racheter ».
Beaucoup de pierres sous les pieds de l’héroïne, beaucoup de silence autour d’elle, beaucoup de calme en toutes circonstances de la part des personnages positifs : nous sommes dans un récit légendaire de Laurent Gaudé : une vie, la condition féminine, des traditions, une vengeance, le tout porté par une écriture forte, poignante, empreinte de poésie. Le sujet est dur, violent mais rien n’est gratuit. Chaque mot est nécessaire, chaque mot est à sa place.
• Premier temps
Je vous propose de chercher des situations où quelqu’un, vous-même peut-être, ou quelqu’un d’autre, ou un groupe de personnes, a été victime d’une grave injustice, d’un préjudice, d’un rejet, d’une mise en quarantaine… En tout cas quelque chose qui peut provoquer une grande colère, un désir de vengeance. Ce sont des sentiments violents et négatifs, mais tellement humains ! Je sais que ce ne sont pas des situations très agréables à envisager, mais je vous rassure, nous n’en resterons pas là.
Dressez une liste de situations qui vous viennent à l’esprit, si cela peut vous aider…
Choisissez en une que vous allez développer, en exposant les circonstances et les conséquences subies, les sentiments éprouvés par la ou les victimes.
Je vous propose d’écrire ce premier texte à la 3ème personne. Pas de « je », pour mettre les choses un peu à distance.
Puis laissez reposer…
« Tout aurait dû s’achever ainsi, avec une silhouette qui disparaît dans le désert. »
Mais une femme a suivi Salina et s’adresse à elle :
« Je suis Alika, fille de Sal’Elmaya, épouse de Kano. Ce que j’ai à faire, Salina, aucune femme, avant moi, ne l’a fait. »
« J’ai exigé de Kano qu’il me raconte ton histoire, Salina. Je ne l’ai jamais interrompu, sinon pour lui demander plus de détails lorsqu’il me semblait qu’il était allé trop vite. Oui, tu as perdu. Ton corps aujourd’hui le montre, avec son usure et ses rides. Tu as été humiliée. Pour toi, il ne reste rien, je le sais. Je pourrais m’en réjouir. Car les Djimba sont du côté des vainqueurs et je suis une des leurs. Ils sourient tous à l’évocation de ton nom parce qu’ils savent qu’ils n’ont plus rien à redouter de toi mais ils ont tort. Je sais, moi, qu’une guerre ne s’achève vraiment que lorsque le vainqueur accepte de perdre à son tour. C’est pour cela que je suis venue Salina. »
• Deuxième temps
La vengeance n’est pas une fin en soi. Il y aura toujours quelqu’un pour reprendre son flambeau et poursuivre la vengeance, dans l’espoir de gagner. Il faut qu’une rédemption, une ouverture, à défaut d’une réparation – dans certains cas, il ne peut y avoir vraiment ni réparation ni pardon – intervienne pour que tout s’apaise, pour que les êtres ne restent pas exilés d’eux-mêmes et du monde, pour qu’ils puissent construire leur vie.
Vous allez donc maintenant écrire un court texte de résolution, la fameuse rédemption, de la situation évoquée tout à l’heure dans votre premier texte. Cette ouverture, ce don ou cette réparation devra bien entendu être en relation avec le préjudice subi, d’une importance proportionnée, pour que cela soit juste, pour que le cycle de la colère et de la vengeance s’interrompe.
• Troisième temps
Pour finir, je vous propose de réunir vos deux textes en un seul. La forme de votre texte est libre, récit, dialogue, poème… sans plus de contrainte sur le pronom personnel.
C’est ce texte, qui ne devra pas dépasser 1500 signes, espaces compris, que vous enverrez à l’adresse atelierouvert@inventoire.com
Lecture
• L’auteur et son œuvre
Né en 1972, Laurent Gaudé a fait des études de Lettres Modernes et d’Etudes Théâtrales à Paris.
En 1997, il publie sa première pièce, Onysos le furieux, à Théâtre Ouvert. Suivront alors des années consacrées à l’écriture théâtrale.
Son premier roman, Cris, est publié en 2001.
Avec La Mort du roi Tsongor, il obtient, en 2002, le prix Goncourt des Lycéens et le prix des Libraires.
En 2004, il est lauréat du prix Goncourt pour Le Soleil des Scorta, roman traduit dans 34 pays.
Depuis 2008, il travaille régulièrement avec des compositeurs contemporains pour lesquels il écrit des textes ou des livrets d’opéra : Roland Auzet (Mille Orphelins), Thierry Pécou (Les Sacrifiées), Kris Defoort (Daral Shaga), Thierry Escaich (Cris) et Michel Petrossian (Le Chant d’Archak).
Il est également l’auteur de deux recueils de nouvelles, Dans la nuit Mozambique et Les Oliviers du Négus, ainsi que de livres en collaboration avec les photographes Oan Kim (Je suis le chien Pitié) et Gaël Turine (En bas la ville).
Depuis 2013, il a également effectué des voyages (Port-au-Prince, le Kurdistan irakien ou la jungle de Calais), qui ont donné lieu à des reportages. De ces expériences, il tirera également un premier recueil de poèmes, De sang et de lumière, publié en 2017.
Toute son œuvre est publiée chez Actes Sud.
• Le roman
La 4ème de couverture est la suivante :
« Qui dira l’histoire de Salina, la mère aux trois fils, la femme aux trois exils, l’enfant abandonnée aux larmes de sel ? Elle fut recueillie par Mamambala et élevée comme sa fille dans un clan qui jamais ne la vit autrement qu’étrangère et qui voulut la soumettre. Au soir de son existence, c’est son dernier fils qui raconte ce qu’elle a été, afin que la mort lui offre le repos que la vie lui a défendu, afin que le récit devienne légende.
Renouant avec la veine mythique et archaïque de La Mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé écrit la geste douloureuse d’une héroïne lumineuse, puissante et sauvage, qui prit l’amour pour un dû et la vengeance pour une raison de vivre. »
Nous sommes dans un récit légendaire de Laurent Gaudé, en un temps et un lieu inconnus, fictifs, mais que nous pouvons fort bien imaginer.
C’est le troisième fils de Salina, Malaka, le préféré, qui se charge de l’enterrer. Mais pour qu’elle soit inhumée, il faut que le cimetière l’accepte. C’est une jolie invention. Le prix à payer pour l’entrée du cimetière est le récit de Malaka, qui se doit d’être convaincant. Il y a quelque chose de permanent chez Laurent Gaudé : la nécessité du récit contre l’oubli. La mort, on sait qu’elle survient, mais l’oubli, on peut l’empêcher et c’est à quoi sert l’écriture.
L’écriture de Laurent Gaudé est juste, belle, imagée, sonore. Les phrases sont courtes et tranchantes, comme l’histoire qu’elles racontent. Les personnages sont écorchés vifs, victimes du destin et de leur condition. Salina ne dépareille pas, on retrouve l’ambiance de La mort du Roi Tsongor, avec ses batailles, ses chefs guerriers, pleins d’orgueil, ses haines et ses amours.
Le roman de Laurent Gaudé est simple dans ses grandes lignes, mais sophistiqué dans sa construction (en dix chapitres ou chants). Il est riche en rebondissements et digressions, et déploie les thèmes chers à l’auteur : le passage de la vie à la mort, l’humanité brisée par les guerres et la violence des traditions, le prix de la vengeance et le baume salvateur du pardon.
L’écrivain immerge ses personnages au coeur de la guerre et cette violence barbare entre en résonance avec la violence de notre monde contemporain.
« L’exil est un thème intéressant parce qu’il percute à la fois notre monde d’aujourd’hui, de manière très évidente. C’est un thème avec lequel on a beaucoup à faire et à dire en ce moment mais c’est aussi un thème qui vient de très loin et qui souvent est très présent dans la mythologie, il traverse comme ça l’histoire de la littérature (…) La vengeance est aussi un thème que j’aborde dans ce livre et qui m’intéresse beaucoup. Ce sentiment est en chacun de nous et on ne peut pas le nier (…) Salina, les trois exils c’est au fond et avant tout l’exploration du cycle de la vengeance », précise Laurent Gaudé.
Cette tension mise en jeu par l’écrivain s’exprime dans de grandes répliques, lyriques par moments, d’où se dégage une puissance d’émotion considérable. Laurent Gaudé parvient à nous donner la distance nécessaire pour entendre une fable parlant de notre propre humanité.
Sylvette Labat a publié un recueil de nouvelles, Les Pétales froissés des coquelicots.
Elle propose des ateliers d’écriture en région toulousaine. Pour Aleph-Écriture, elle conduit des ateliers ponctuels à partir de parutions récentes, des modules de la Formation générale à l’écriture littéraire, des stages. Sa prochaine intervention a lieu du 16 mars au 18 mai 2019, pour un module « Oser écrire », puis elle animera une journée « Écrire avec Grand Corps Malade » le 25 mai. Son prochain atelier ouvert à la médiathèque Les Granges est fixé au 29 mars.