Le parcours collectif d’écriture dont Pauline Olphe-Galliard nous parle ici est représentatif du travail en atelier, où le processus de création est encouragé par une dynamique de groupe. Ce qui fait l’originalité de l’expérience qu’elle nous raconte, c’est que les personnages des nouvelles des uns, vont se retrouver dans celles des autres. Une aventure passionnante qui donne lieu aujourd’hui à un travail d’édition des textes par les participants.
Après avoir suivi la formation à l’animation d’ateliers d’écriture d’Aleph-écriture, Pauline Olphe-Galliard, psychothérapeute, a créé LE STUDIO DES MOTS à Marseille. Parallèlement, elle avait suivi en 2015 la formation Aleph «Écrire le roman» – un roman dont elle vient d’ailleurs de terminer l’écriture -.
Écrire à voix croisées
Atelier d’écriture expérimental année 2016-2017
L’envie de proposer cet atelier à partir d’une seule proposition à développer tout au long de l’année, est apparue après deux années d’animation d’ateliers d’écriture mensuels « classique », c’est à dire une proposition différente par mois. J’avais envie d’expérimenter et de d’observer ce que produirait une écriture à « voix croisées », sur un long cours, avec un groupe donné.
J’avais déjà animé 2 années de suite un atelier pour ce très bon groupe, et j’ai eu l’envie de les lancer sur quelque chose de plus consistant. Tenir dans la durée, créer un personnage, des situations et puis poursuivre l’écriture pendant 9 mois.
Je n’avais jamais expérimenté avec un groupe une année d’écriture au long cours et la plupart des participants ne l’avait pas non plus expérimentée dans leurs chantiers personnels (mis à part un d’entre eux).
De mon côté je m’étais lancée dans l’écriture d’un premier roman, et éprouvais les joies et les affres de l’écriture dans la durée, le besoin de regroupement pour travailler la forme et de solitude aussi pour avancer dans la rédaction. Je le compris à postériori, mon désir d’animatrice venait en parallèle de mon éprouvé d’auteur.
Je savais, pour l’avoir vécu à plusieurs reprises, qu’écrire en groupe produit un espace particulier pouvant potentiellement démultiplier la créativité, et que, si la dynamique de groupe est bonne, les synergies peuvent être exponentielles.
Outre le désir d’amener les participants à une écriture au long cours, il y avait en corolaire, le besoin d’être observateur de ce nouveau dispositif, afin d’affiner ma pratique.
Les participants ont déjà une bonne maitrise de l’écriture de fiction et sont d’accord pour se lancer dans cette aventure. Il leur est donc proposé d’écrire une nouvelle ou micro fiction, étalée sur l’année (8/9 séances) avec un point de démarrage commun. Chaque séance durant environ 2 heures et demi.
Deux groupes sont constitués de cinq/six participants, à chacun des groupes de définir le lieu et l’époque, la première proposition étant l’événement qui sera le démarrage de l’histoire. Après discussion, les 2 groupes ont discuté et sont tombés d’accord.
L’un des groupes a choisi Bordeaux, époque contemporaine, l’événement proposé sera l’inauguration d’un cinéma d’art et d’essai.
L’autre groupe choisit Paris, les années 1920, l’événement sera l’inauguration d’un monument aux morts.
À chaque séance, une proposition d’écriture est faite pour avancer dans le récit. Elles seront les mêmes à peu près pour les deux groupes à quelques détails près qui prennent en compte l’évolution du récit et des personnages crées.
Nous suivrons dans cette étude le groupe ayant choisi Paris, les années 20.
Ce dernier, s’est emparé du dispositif avec beaucoup d’enthousiasme, au point de vouloir réunir les nouvelles dans un recueil, et me demandant ainsi de mettre en mots mes intentions quant à cette proposition et les réflexions sur sa conduite tout au long de l’année.
Il s’agit donc d’un cheminement croisé entre l’animatrice et les participants, comme seront croisées les voix des différents personnages créés tout au long de l’année, en soubassement souterrain ou croisé aussi avec l’écriture de mon roman.
Le dispositif : huit séances de 2 h 30 sur une année
Le cadre sera donc de huit séances de 2h 30, une par mois, une proposition différente à chaque étape est donnée en début de séance, un temps de lecture collective proposée après, dispositif classique en quelque sorte. Y a été rajouté aussi un temps de repositionnement de l’histoire en début de séance afin que chacun puisse bien s’imprégner de l’histoire des autres. La consigne en fil rouge était de tenter de faire croiser certains personnages entre eux, éventuellement de les faire interagir.
La première séance avait été en partie consacrée au choix du lieu et de l’époque et aux discussions autour du processus et des objectifs visés à savoir :
- créer un personnage et le faire évoluer dans le contexte choisi en commun (Paris années 20), en partant de la première proposition, à savoir l’inauguration d’un monument aux morts après la guerre de 14-18 (aux alentours des années 20). Éprouver la création d’un personnage en sachant qu’il sera le compagnon d’une année entière, à partir de ce que la proposition suggère, des imaginaires propres à chaque participant faisant plus ou moins écho pour chacun et de ce que le monde renvoie et parle à l’oreille de l’écrivant. Triple porte d’entrée potentielle, multipliant ainsi les ressources créatives, échos vibratoires et sensoriels démultipliés.
- Éprouver l’écriture au long cours et bénéficier du soutien du groupe pour tenir sur la durée contre les freins inéluctables à savoir, doute, lassitude, peur de ne pas y arriver, panne d’imagination, etc. Des rendez vous réguliers comme des phares pour une nouvelle traversée. Éprouver aussi la dimension contenante et structurante du dispositif proposé pour eux comme pour moi ; « je les accompagne afin qu’ils ne lâchent pas ! » Ils m’aident ainsi à ne pas lâcher de mon côté, expérimentation en parallèle. Je dois tenir pour garder la légitimité de cette aventure proposée…
- Il y a donc soutien implicite et explicite de part et d’autre.
L’évolution du récit
Il semblerait que le choix de l’époque ait eu une réelle incidence sur la dynamique d’écriture et l’implication des participants. En effet, choisir les années 20 nécessite de se plonger dans l’Histoire pour éviter les incohérences ou fausses vérités. Très vite, il leur est apparu le besoin de confronter le fruit de leurs recherches sur des points très divers allant de l’habillement à la géographie du lieu à l’époque, de l’horreur des combats aux combats des femmes. L’émulation liée à ces recherches a donné assez rapidement de la profondeur aux divers récits et de l’épaisseur voire de la gravité aux personnages. Cette dynamique de recherche a conduit également les participants à un ajustement spatio-temporel plus subtil et fin. En effet, peu à peu le besoin d’ajuster les dates, les âges des personnages, afin qu’ils créent un corpus tout à la fois autonome (chaque histoire est particulière) et inter actif. Cela s’est fait de manière plus ou moins évidente pour certains, vécu comme une nécessité de plus en plus prégnante au fur et à mesure du déroulé de l’histoire, comme une convergence qui était inéluctable. Ajuster les voix tout en gardant la voix propre de son personnage, tel était le défi.
Bien que ce ne fut pas évoqué comme une contrainte au préalable, les ajustements se sont faits, donnant plus de force et de crédibilité aux interactions entre les personnages.
Au fur et à mesure de l’écriture des nouvelles, les personnages ont interagi, ont pris une place dans les histoires de l’un et de l’autre.
Des amitiés se sont nouées entre elles (les héroïnes de plusieurs histoires), nécessitant des discussions entre leurs auteurs, les personnages prenant une part de plus en plus grande dans la progression des séances, s’incarnant au gré des échanges. Force aussi de constater que le choix des années 20 a induit la création de personnages principaux exclusivement féminins, aux prises avec les difficultés de l’époque et la tentation d’une émancipation certaine. Toutes vont, au cours du récit s’affranchir, voire s’émanciper de leurs conditions initiales, les rencontres entre elles agissant comme accélérateur de conscience.
Très passionnant d’observer cette mutualisation progressive, preuve s’il en est de la puissance de l’intertextualité la bien nommée ! Des familles de personnages, des amitiés fortes se sont tissées entre elles. L’amitié entre les personnages Hélène et Madeleine va devenir centrale pour le récit concernant Madeleine, celle entre Judith et Marie déterminante pour le destin de Marie. Rose a gagné quelques années afin de pouvoir se mêler au groupe des femmes rencontrées entre le début et la fin du récit, elle a pris de l’étoffe afin qu’une cohérence puisse être maintenue. On pourrait ainsi détailler plus finement le développement du récit de chacun et y trouver de multiples ponts et croisements interagissant dans la construction et l’approfondissement des personnages. Les amitiés ainsi crées prendront soit le chemin de l’intime, soit celui de l’engagement politique et militant.
Les propositions
Il est indéniable que le monument aux morts va être l’axe principal des récits. La force symbolique qu’il porte, influencera tous les récits sans exception. Pour être honnête je n’avais pas mesuré à ce point l’impact que ce dernier pourrait avoir dans le déroulé de l’histoire tout au long de l’année. Chacun des personnages sera évidemment confronté à la question du deuil, à la séparation, à la douleur et à la rédemption possible par le biais d’un champ social laissé vacant par l’absence des hommes entre autre.
L’impact de l’horreur de la « grande guerre » agissant comme déclencheur d’énergie de vie en contrepoint, mais aussi d’intensité dans la création et l’évolution des personnages. Ces derniers ont des personnalités fortes et pour certaines emplit de gravité. Sans être tragiques, les histoires construites sont fortes, puissantes, dénuées de banalité. Chaque personnage se trouve en quête de sens pour lui-même mais aussi pour la société. Ainsi le point de démarrage d’un récit n’est en aucun cas neutre sur son déroulé. (cf. mon héroïne qu’on découvre dans les couloirs d’une prison dans le premier chapitre… !!)
Il est certain que la contrainte liée à l’époque, à ce monument et à son inauguration ait conduit aux besoins de documentations, de précisions, d’éclairages, de mises au point. Ces recherches amenant sans doute à une écriture plus fouillée et précise.
Les propositions d’écriture ont été données par rapport à une chronologie précise visant à approfondir la psychologie des personnages et alimenter la dynamique du récit : introduction de zone de bascule, ou de rupture pour arriver à un dénouement.
Il est amusant de constater que certains ont gardé la progression proposée, d’autres non, se libérant ainsi des contraintes.
La dynamique de groupe
Force est de constater aussi l’incidence du choix de l’époque sur la dynamique de groupe. Outre les affinités électives propres à chaque groupe et conférant à sa dynamique une couleur propre, le choix des années 20, époque charnière, déterminante à plus d’un titre, a joué un rôle clé dans la cohésion du groupe.
La nécessité d’échanger sur les données historiques, de vérifier à chaque séance la cohérence des dates, des âges, des toilettes, des récits de guerre venant de leurs frères, fiancés, amants, a multiplié les interactions entre les participants et donc conduit à une identité groupale forte. Le choix progressif d’amener les récits sur le versant de la condition des femmes et de leur émancipation en est tout à la fois la conséquence et l’origine. Les femmes ont eu besoin de s’unir pour avancer dans leur chemin de libération, le groupe s’est uni pour pouvoir écrire à ce propos. Je m’étonne à peine à la lecture de mes observations que l’héroïne de mon roman elle aussi se libérera d’une partie d’elle même ! Vive les inconscients collectifs !
Il est amusant de constater que la créatrice du personnage de Madeleine (jeune femme la plus engagée dans le combat des femmes) sera aussi celle qui insistera pour la réalisation de ce recueil à la forme atypique…
Où comment les personnages s’emparent de nous et nous d’eux pour nourrir la dynamique d’un groupe.
C’est bien à ce niveau là aussi qu’opèrent l’écriture en atelier, de multiples processus parallèles conscients ou non sont à l’œuvre. Le rôle du cadre est de contenir certains effets potentiellement dommageables (pas observé dans ce groupe là), pas de rivalité, ni de lutte pour une place de leader. Le rôle des propositions comme une rampe souple et légère proposée pour guider le récit.
Chronologie des séances
Octobre 2016 : choix du lieu, de l’époque, proposition : inauguration d’un monument aux morts à Montmartre
Novembre 2016 : proposition autour de la file d’attente, le personnage dans la foule
Décembre 2016 : « ils vont bien finir par se parler » suite à l’arrivée d’une femme dans une Hispano Suiza
Janvier 2017 : « et si c’était vrai » : un personnage du passé va ressurgir faisant le lien entre hier et aujourd’hui : la force de la remémoration
Février 2017 : suite à ce surgissement le personnage va décider d’agir dans le sens d’une rupture avec la dynamique qui était la sienne
Mars 2017 : mettons un peu de piment dans l’histoire en choisissant une phrase d’incipit parmi celles proposées. Relancer le récit
Avril 2017 : la lettre comme éclairage, révélateur ou dénouement qui se profile. Confidence qui prépare doucement la fin du récit
Mai 2017 : la fin de l’histoire, laisser son récit
Juin 2017 : travail de liaison entre les chapitres et sur la cohérence globale du récit.
Conclusion
Cette première expérience en tant qu’animatrice m’a renforcée dans l’idée qu’écrire ensemble a des effets démultiplicateurs et que cela agit, comme dans toutes les relations humaines, à tous les niveaux, conscients et inconscients.
Cela renforce aussi le principe que la contrainte potentialise et intervient aussi dans la dynamique des groupes.
Plus la contrainte est serrée, plus l’écriture nécessite un resserrement des participants entre eux, surtout dans un chantier au long cours interactif comme celui ci. Une époque plus éloignée dans le temps, aurait peut être vu ce phénomène se renforcer.
Le rôle de l’animateur se situe dans le maintien du cadre et dans la recherche de cohérence des textes. Les quelques réticences au début ont conduit une personne à quitter le groupe dès le début, une autre en cours de route, ne restait donc plus que des participants motivés, ce qui a bien évidemment agit sur le fonctionnement du groupe.
La question qui reste ouverte reste celle de la limite des interactions des personnages entre eux. Mon choix dans la consigne a été de laisser à chaque participant le choix de s’approprier les personnages créés par les autres selon leur envie, et non celle de leur auteur, la cohérence devait se situer plutôt sur les lieux et les évènements vécus ensemble. Pour le reste Judith (tel que l’histoire d’amour entre deux femmes, qui sont nées dans l’une des nouvelles) ; peut prendre des visages différents suivant tel ou tel, car il ne s’agissait pas d’écrire une histoire commune à plusieurs, mais bien une histoire singulière en interaction avec d’autres, à la manière du « crossover » d’un personnage qu’on peut retrouver « en visite » dans deux séries télévisées. Chacun des personnages était ainsi autonome dans son histoire, des bouts de personnages ayant été empruntés par d’autre.
La nuance est importante. Ce n’est donc pas une écriture collective, mais un parcours collectif d’écriture.
Il apparaît que ce type de dispositif, s’il reçoit d’adhésion du groupe, permet un renforcement des liaisons dans le groupe, mais aussi de la motivation à poursuivre. Chacun se sentant engagé les uns vis à vis des autres, tout en étant libre de leur imaginaire (une preuve s’il en est, une des participantes, liées par des obligations professionnelles importantes a dû quitter le groupe, mais n’a pas abandonné son histoire, et se sent engagée à terminer le processus en assurant de sa présence aux dernières réunions de finalisation).
La suite de l’aventure
Un des deux groupes vient d’éditer la maquette du recueil de ces textes « Montmartre 1920 », pour le présenter à une maison d’édition. L’aventure se poursuit désormais sans moi; même s’ils m’invitent aux réunions. Ce livre est devenu leur projet, j’en suis juste le témoin maintenant.
Ce texte en effet, ce sont les participants qui m’ont demandé de l’écrire. Au début ils voulaient que « j’écrive un texte en préface du recueil ». Je me suis prise au jeu de leur demande, et cet article est devenu tout autre chose, beaucoup plus long qu’une préface!
Il est devenu le fruit d’une réflexion sur l’écriture, et une autre manifestation des interactions qui ont été à l’œuvre toute une année, comme si la boucle était bouclée : des consignes d’écriture que j’ai données au groupe l’année dernière; au groupe qui me demande d’écrire un texte qui parlerait de cette expérience, en parfaite circularité.
C’était amusant à écrire car cela m’a fait réfléchir sur la formation d’animateur, qui a à voir avec la maïeutique. Une sage-femme n’est pas sur le faire-part de naissance, même si on a aidé à la naissance. C’est une position qu’on accepte, j’aime cette posture-là. Ça me va bien.
Pauline Olphe-Galliard
NB : Aleph-écriture dispense une formation à l’animation d’ateliers d’écriture selon « Un ensemble de 6 modules ». Aleph propose également une formation générale littéraire, et des modules consacrés à l’écriture d’un roman. En savoir plus ici.
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