Chaque semaine, nous vous proposons un portrait de maison d’écrivain, et lieu de mémoire.
Sans surprise, la maison longe un canal et, devant, la file d’attente ne désemplit jamais. Anne Frank Huis est un lieu touristique. Cela signifie que des gens du monde entier entrent dans cet ancien foyer familial, en parcourent les pièces, audioguide à la main. Là où se cachait la famille Frank pour ne pas être arrêtée par la Gestapo, là où ils vivaient calfeutrés, marchaient sur la pointe des pieds, silencieux, isolés du reste du monde, dans cet endroit appelé l’annexe secrète, sont passés plus de 33 millions visiteurs depuis les années soixante.
Ne vous attendez pas à une scénographie reconstituée. Vous ne trouverez pas de poupée ayant appartenu à Anne Franck, ou de lit sur lequel elle aurait dormi. Aucun meuble et très peu d’objets dans les pièces de cette grande maison à quatre étages. Mur blanc et sol de briques au rez-de-chaussée, tapisserie jaunie et stores anachroniques au premier. Le visiteur suit un parcours encadré comme une sorte de pèlerinage. Des citations habillent sobrement quelques cimaises, par moment des images d’archives, des portraits, quelques secondes d’Anne en mouvement dans une vidéo tournée à l’occasion d’un mariage. On grimpe les escaliers échelles – typiques des maisons d’Amsterdam – on passe derrière la bibliothèque pivotante pour accéder à des pièces plus sombres, l’annexe secrète. Le chemin se fait avec un dictaphone pour que la voix d’une jeune comédienne vous raconte à l’oreille son histoire, celle de la jeune écrivaine juive de 14 ans.
La visite se vit donc comme un condensé du journal d’Anne Frank, écrit ici même, entre juin 1942 et août 1944. Ce roman est un témoignage, un morceau de notre Histoire tout en étant la sienne, son récit. Venir dans ces lieux mêle notre devoir de souvenir à son histoire que nous participons, ainsi, à rendre éternelle. De cette implication vient certainement notre émotion.
L’ancienne maison familiale devenue lieu de mémoire est pourtant dépouillée de tout sentimentalisme superflu. Mais elle est claire et directe comme l’écriture d’Anne Frank. Hormis les chuchotements cosmopolites des audioguides, un silence respectueux règne jusqu’à la visite des derniers étages. Le rire n’est pas de mise, pourtant un sourire clôt cette immersion lorsque l’on lit cette dernière citation :
« Will I ever become a journalist or writer? I hope so, oh, I hope so very much, because writing allows me to record everything, all my thoughts, ideals and fantasies ».
Anne Frank, 5 Avril 1944
Nous ne pensons pas une minute à déplorer qu’elle n’ait pas connu son succès, il y aurait trop à regretter. Nous pensons plutôt au pouvoir incroyable des mots, capables de dépasser les ambitions pour devenir leçon d’humanité.
Julia Garel
Pour aller plus loin : « Quand tu écouteras cette chanson », de Lola Lafon (Editions Stock, une nuit au musée).