Par Laure Naimski
Fin septembre dernier, le festival des Francophonies en Limousin (24 septembre au 4 octobre 2014) présentait La Constellation du chien, une création théâtrale réunissant un auteur québécois, Pascal Chevarie et un metteur en scène installé à Limoges, Alban Coulaud dans une création onirique et empreinte d’une grande délicatesse (la pièce a été éditée chez Lansman en 2011). Le texte a figuré parmi les deux derniers finalistes du prestigieux prix Annick Lansman en 2010.
La pièce est une fable poétique et sensible inspirée d’un fait historique bien réel. En 1957, les Russes envoyaient leur premier module habité dans l’espace, avec à son bord la petite chienne Laïka. Quelques décennies plus tard, Emile surveille le retour de la petite chienne du haut de ses 12 ans. Il guette l’étoile la plus brillante de la constellation du Chien et ce soir justement, elle se détache et grossit à vue d’œil. Son télescope sous le bras, il s’enfuit pour accueillir Laïka et pour s’échapper d’un monde où il ne se sent pas chez lui, fuir l’école, fuir les réseaux sociaux qui le harcèlent. Il croise Léo, une jeune fugueuse à peine plus vieille que lui, rebelle, écorchée. Ces deux êtres que la vie avait opposés vont se parler, se rencontrer, se disputer… se voir enfin dans ce terrain vague hors du temps. Quinze ans ont passé lorsque Léo, redevenue Eléonore, revient sur les lieux, retrouver Emile, et se retrouver elle-même. Elle cherche sur les traces de son enfance le carrefour, l’endroit où leurs vies ont été bouleversées.
Originaire des Iles-de-la-Madeleine, Pascal Chevarie est diplômé de l’Ecole nationale de Théâtre du Canada en écriture dramatique. Il est dramaturge et scénariste pour la télévision. Nous l’avons rencontré juste après la représentation de La Constellation du chien à Limoges.
Quel est le propos de votre pièce ?
C’est l’histoire d’une rencontre entre deux êtres qui sont à un moment charnière de leur vie, deux enfants qui sont à l’aube du passage à l’adolescence. Ils se rencontrent dans un moment de crise. Ensemble, ils vont devoir traverser la nuit et apprendre à se connaître, à se reconnaître et à s’aimer d’amitié. Ils vont apprendre d’abord à s’accepter eux-mêmes et à accepter leur propre identité et aussi, ensuite, à reconnaître l’autre.
Ils se rencontrent autour d’une souffrance qui est celle du harcèlement à l’école, même si celle-ci est esquissée, suggérée.
Oui, c’est vrai, ils arrivent là chacun brisé par un événement qui est extérieur. C’est intéressant de l’évoquer, mais ce n’est pas le propos. Ce qui m’intéresse est la rencontre qu’ils vivent et le fait qu’ils arrivent chargés de cette énergie là et de ce qu’ils vont en faire. Comment ils vont réussir à dépasser cette souffrance et à s’apaiser mutuellement. Je ne voulais pas appuyer sur la cause de la crise car j’aime bien laisser le spectateur faire son propre chemin. Ce qui m’importait c’est que ce sont deux être solitaires et blessés qui ont une grande part de rêve et d’imaginaire.
Les dialogues entre les deux jeunes tiennent une place importante.
Je souhaitais un huis clos, être en présence de deux personnages qui sont captifs ensemble et qui doivent s’apprivoiser à tout prix parce qu’ils sont tous les deux en survie. Les dialogues sont faits de ça. On a l’impression d’être face à deux lions en cage qui se toisent mutuellement. J’ai vraiment construit cette pièce comme un tango. On avance, on recule, on se jauge. On n’est pas trop sûr à quel point on va aller sur le territoire de l’autre. Il y a au départ de la réserve, de la méfiance, puis ils s’apprivoisent peu à peu. J’ai aussi donné de l’importance au monologue d’Emile qui évoque son monde imaginaire avec la petite chienne Laïka et la conquête de l’espace qui permet de sortir un peu de cette atmosphère de huis clos. Donc, j’ai un peu triché avec ma contrainte ! (Rires). Tout s’est enchâssé avec aussi le récit très subjectif que fait Eléonore, devenue adulte, des événements qu’elle a vécus quinze ans plus tôt. Le spectateur n’assiste pas à l’événement en lui-même mais aux traces qu’il a laissées dans la vie de la jeune femme. C’est très important de garder cela en tête, le fait que c’est sa vision à elle.
Comment vous est venue l’idée de cette petite chienne de l’espace ?
Un jour, j’ai lu un recueil de lettres d’enfants du monde conçu pour récolter des fonds pour l’Unicef. Un groupe d’enfants s’adressait à Laïka. J’avais été très touché par cette espèce de candeur et de naïveté dans le fait de s’adresser au petit chien de l’espace en disant « Peut-être que tu nous écoutes », « Qu’est-ce que tu penses de ce que les hommes font sur Terre », « Est-ce que tu peux écouter mes secrets », etc. Les enfants se confient à un être qui est d’une grande fragilité. On sait que cette petite chienne dans sa navette est morte tout de suite au décollage. Cette relation là m’a beaucoup touché et j’ai eu envie de travailler sur ce thème. C’est ce que j’ai fait, en 2007, lors de ma résidence à la Maison des auteurs à Limoges. Je suis venu du Canada avec seulement cette lettre dans mes bagages et je suis resté trois mois. J’étais accompagné par une classe d’une école primaire en périphérie de Limoges. Les enfants suivaient tout mon travail, l’instituteur était extraordinaire et m’a permis d’aller vraiment à la rencontre de ses élèves. Avec les enfants, nous avons beaucoup discuté autour de tous les textes que j’écrivais et que je partageais au fur et à mesure avec eux. La pièce s’est construite tout au long de nos rencontres. Et sept ans plus tard, je suis de retour à Limoges pour enfin la voir sur scène !
Comment avez-vous rencontré Alban Coulaud, créateur de la Cie O’Navio Théâtre à Limoges et metteur en scène qui s’est emparé de votre pièce pour la monter ?
Je l’ai rencontré lors de cette résidence à Limoges. J’étais à la recherche d’une équipe pour réaliser une mise en espace afin de tester le texte. Je suis revenu à Limoges au moment de Nouvelles Zébrures organisées chaque année au printemps par le Festival des Francophonies pour donner à entendre des auteurs francophones. J’ai pu assister à La Constellation du chien mis en espace par Alban Coulaud et faire aussi entendre la pièce aux élèves. Alban m’a dit qu’il était tombé en amour avec la pièce. Il a ensuite toujours gardé ce projet dans un petit coin de sa tête. Et la création de la pièce a pu se faire grâce au concours du festival qui a mis l’épaule à la roue. Et je suis ravi de la finesse de la lecture d’Alban, du choix des comédiens, du travail de lumière, d’espace, de son. Il a su lire au travers de mes intentions vraiment fondamentales et trouver une façon poétique, onirique, mais en même temps très juste de les concrétiser sur scène.
Peut-on tout dire aux enfants ?
Oui. Il suffit de trouver une façon poétique de le dire. Il faut d’abord et avant tout écrire une bonne histoire. Je n’ai pas peur d’aborder des sujets difficiles, même en direction des enfants, mais j’essaye toujours de trouver un angle qui va les captiver.
Propos recueillis par Laure Naimski
Le dernier ouvrage paru de Laure Naimski: En Kit
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