À l’occasion du Printemps des poètes, Sylvie Neron-Bancel est allée rencontrer Gaëlle Nohant pour L’Inventoire. Elle nous parle ici de son roman « Légende d’un dormeur éveillé » (paru aux Editions Eloïse d’Ormesson), inspiré de la vie de Robert Desnos et de sa passion pour les mots et la poésie.
L’Inventoire: Vous avez été la marraine de la première édition de FESTI’MOTS, pourquoi avoir accepté cette invitation?
Gaëlle Nohant: Festi’mots était un projet enthousiasmant, qui s’est révélé une réussite dès sa première édition. Le public était au rendez-vous. C’est une belle idée de faire vivre les livres par la lecture, parce qu’une lecture sentie et sensible permet une émotion très particulière, un partage qui dépasse le bonheur de la lecture solitaire et permet de redécouvrir les textes en les écoutant. Celui qui lit prête sa sensibilité aux mots d’un autre, il les incarne et leur donne une résonance toute particulière. Et puis… la lecture à haute voix nous ramène à l’enfance, à ce rapport affectif aux histoires, aux premières histoires qu’on nous a lues, racontées. Il y a un effet « madeleine de Proust ».
L’Inventoire: Vous venez de publier un troisième roman, Légende d’un dormeur éveillé, (Editions Héloise d’Ormesson), sur Robert Desnos, poète, écrivain, homme de radio, homme engagé. Comment est né ce projet?
Gaëlle Nohant: Je suis « tombée en amour » avec Robert Desnos quand j’avais 16 ans. C’est mon poète de chevet et sa poésie m’a toujours consolée, réconfortée. Il y a deux ans et demi, j’ai eu envie à mon tour de faire quelque chose pour lui. Et comme je trouvais qu’il n’avait pas la place qu’il mérite aujourd’hui en tant que poète et en tant qu’homme, qu’il était trop oublié, j’ai eu l’idée d’écrire un roman pour le présenter à un grand nombre de lecteurs. Une sorte d’hommage, de lettre d’amour à cet homme si rayonnant, moderne, courageux, dont nous avons besoin aujourd’hui pour ce qu’il incarne de clairvoyance et d’humanité.
L’Inventoire: Pourquoi avoir écrit un roman, plutôt qu’une biographie ? Qu’est-ce que le roman vous a permis? Qu’est-ce que vous avez inventé?
Gaëlle Nohant: Le roman me paraissait la meilleure forme parce qu’il permet au lecteur de s’approcher tout près de Desnos, et de s’attacher à lui, de s’identifier à ses batailles, à ses joies et à ses peines, contrairement à une biographie qui nous garde toujours extérieurs au sujet. En revanche, écrire un roman demandait de ressusciter non seulement Desnos mais son époque, ses amis, le Montparnasse des années folles, le Paris de l’Occupation… Pour résumer je dirais que le squelette est vrai, il s’appuie sur une énorme base documentaire, mais j’y insuffle la chair et le sang par la fiction. Les sentiments, les conversations, les rencontres…La manière dont les choses se sont déroulées. Il me fallait aussi remplir les blancs de la biographie. Mettre en scène la résistance de Desnos, par exemple. Décider si oui ou non il avait « tué un Allemand », comme il le dit dans Le veilleur du Pont-au-Change. Mon travail tenait à la fois de celui du romancier et du détective. Je me suis beaucoup appuyée aussi sur la poésie de Desnos, parce qu’elle est sa voix, le chemin le plus court vers sa psyché. J’ai pris des libertés qu’un biographe ne s’autorise pas, mais c’était le seul moyen de ré-insuffler la vie, de rejoindre une vérité par le biais de la fiction.
L’Inventoire: Vous avez dû plonger dans les archives de ce Paris foisonnant, artistique, littéraire des années 30, lire des biographies pour approcher de près tous les artistes qu’a côtoyés ce poète, combien de temps avez-vous mis avant de vous lancer dans l’écriture ?
Gaëlle Nohant: Je me suis appuyée sur une base documentaire importante : une quarantaine de biographies, les archives de l’INA, la presse de l’époque, et à peu près deux cents livres sur les faits et personnages historiques, sur Desnos et ses amis, sur la poésie de la Résistance, le Front populaire, la guerre d’Espagne etc. J’ai d’abord concentré mes recherches sur Desnos pour trouver la ligne générale de mon roman, son parti pris : montrer la cohérence de son destin et comment, malgré les virages apparents, son chemin est droit de Montparnasse à Terezin. Cette première phase a duré 3 ou 4 mois. Ensuite j’ai alterné écriture et recherches, au fur et à mesure que j’avançais dans la chronologie et les chapitres. Les archives sont à la fois la malle aux trésors et le matériau concret à partir de laquelle je peux recréer une époque disparue. Elles débrident mon imaginaire et me permettent le « saut dans le vide » de la fiction.
L’Inventoire: Dans le même ordre d’idée, est-ce que ce n’était pas effrayant d’écrire les dialogues d’artistes sur lesquels on a déjà beaucoup écrits (Jacques Prévert, André Breton, Paul Eluard, Antonin Artaud, Garia Lorca, Jean Louis Barrault, etc.) ? Vous réussissez-là pourtant un vrai tour de force, qu’est-ce qui vous a guidé?
Gaëlle Nohant: Le fait que Desnos ait été « l’ami en or » de tant de gens célèbres m’a beaucoup compliqué la tâche, mais c’était passionnant d’en faire des personnages. Et puis je trouve dommage qu’aujourd’hui beaucoup de gens les voient comme des artistes lointains et inaccessibles, alors que la plupart d’entre eux écrivaient pour tout le monde, avec la volonté politique de partager la culture avec le plus grand nombre. Dans ce roman, j’invite le lecteur à s’asseoir à leur table au café, et à les rencontrer aussi simplement qu’ils auraient pu le faire à l’époque, s’il les avait croisés à la terrasse du Select.
Cela dit, faire parler Desnos, Prévert ou Artaud, Hemingway ou André Breton m’a donné bien des sueurs froides et des insomnies ! J’ai longuement mûri chaque mot que je mettais dans leur bouche, avec le souci de ne pas les trahir ni les embellir. D’être la plus fidèle possible à leur personnalité, leur situation et leurs ressentis à l’instant où ils parlent. Une grande joie, c’est lorsqu’on me dit qu’ils sont ressemblants, ou qu’un lecteur qui connaît bien Desnos m’écrit avoir le sentiment de l’avoir « rencontré en vrai », tel qu’il se l’imaginait.
L’Inventoire: Vous insérez de nombreux poèmes de Desnos, c’était un choix dès le départ de faire entendre tout au long du roman des morceaux choisis de sa poésie?
Gaëlle Nohant: J’ai ressenti le besoin dès le début de l’écriture de m’appuyer sur la poésie de Desnos, pour ne pas le trahir et « épouser ses battements de cœur ».
J’ai ainsi instauré un dialogue entre lui et moi, entre sa poésie et mon texte, et ce dialogue éclairait à la fois le roman et sa poésie, il fonctionnait très bien. De plus, ça permettait d’offrir au lecteur des petits morceaux de ses poèmes, une sorte d’apéritif qu’il pourrait prolonger ensuite à sa guise.
Ainsi il peut goûter à sa poésie, la savourer, en voir l’évolution. Elle lui devient plus familière, elle n’est plus intimidante. Et en général, quand il a fini le livre, il s’est tellement attaché à l’homme qu’il a envie de continuer à découvrir le poète.
L’Inventoire: Pensez-vous que la poésie de Robert Desnos a servi à quelque chose ?
Gaëlle Nohant: Je pense que la poésie de Desnos, au même titre que celle de Prévert, est une poésie à la fois subtile et quotidienne, qui épouse toutes les directions de sa curiosité, qui est à la fois moderne et intemporelle. Sa poésie est à la fois « gratuite » et engagée, elle accompagne le mouvement du Front Populaire, cet espoir de bâtir une société plus égalitaire, de décloisonner la culture.
Elle défend un monde plus fraternel, dont la liberté est sacrée, qui célèbre la joie de vivre même à travers la solitude, la nuit, l’amour sans issue.
En tant que telle, elle est non seulement une des plus belles du XXème siècle, mais vitale, précieuse pour nous aujourd’hui. Elle nous rappelle qu’on est plus forts quand on se bat pour ce qui nous rapproche, le monde que nous aimons, dans lequel nous avons envie de vivre.
L’Inventoire: Dans de nombreuses villes, on célèbre le Printemps des poètes, vous pensez que la poésie a encore un rôle à jouer aujourd’hui?
Gaëlle Nohant: Oui, bien sûr ! Parce que, comme le disait si bien Pierre Seghers, la poésie exprime un refus absolu et vital de ce qui nous déshumanise. Elle nous rappelle à ce qui nous fait hommes, et vient nous murmurer que la vie, la beauté, l’amour sont éphémères et qu’il faut les saisir sans attendre, les savourer, les protéger. La poésie crée des liens, des ponts entre les hommes. Elle nous rappelle ce qui nous rassemble, ce qu’il faut défendre.
L’Inventoire: Qu’est-ce qui vous émeut le plus chez ce poète? sa poésie, son optimisme, sa foi en la vie, son courage?
Gaëlle Nohant: Ce qui me touche le plus chez Desnos, c’est qu’il a des failles et des blessures, comme tout le monde… Mais qu’il les dépasse sans cesse en créant des liens vers les autres. Toute sa vie est un mouvement généreux vers les autres, parce qu’il a compris qu’il n’y a qu’ainsi que la vie a du sens et qu’on peut y être heureux. Il possède l’art de la joie, celui de créer son bonheur à chaque instant quelles que soient les cartes, et de l’élargir aux dimensions de ceux qui l’entourent. Son courage découle de cette joie de vivre, comme un instinct naturel. A le fréquenter, on a le sentiment qu’aimer et être courageux sont une seule et même chose, et que cela n’est pas si difficile. On devient plus joyeux, plus optimiste. Je voulais que mon roman soit aussi beau que lui et qu’il donne envie de vivre, d’aimer, de créer, de rencontrer les autres. J’espère avoir réussi mon pari !
Sylvie Neron-Bancel
ALEPH-Écriture Lyon fête la poésie !
Venez écrire, LIRE et partager vos coups de coeur poétiques,
le temps d’une soirée
mardi 13 mars, de 19h à 22h
Hélène Massip et Sylvie Neron-Bancel