Vos textes à partir du roman « Le ciel bleu n’est pas photogénique »

Il y a 15 jours, Alain André vous a proposé d’écrire à partir du premier roman d’Astrid De Laage, Le ciel bleu n’est pas photogénique (Les Éditions abordables, 2019). Nous avons sélectionné cette semaine 7 textes en réponse à cette proposition d’écriture. Merci à tous de votre participation !

Christiane Leydet

Humeur canine

Olga sent l’oignon. L’oignon c’est bon pour tout, aboie-t-elle, le couteau à la main – antiviral, antibactérien – bon pour toi aussi, gros toutou, et vlan dans ma gamelle. J’en pleurerais. Elle aussi en pleure, c’est ce qui me console. Mets tes lunettes de piscine, Olga, quand tu pèles ! Luc s’époumone en vain. Olga épluche à la dure – comme elle m’épuce à l’étrille, pour des chagrins qu’elle s’invente – à moins qu’elle cherche à noyer les anciens. J’avale ma plâtrée sans moufter. Malgré mes 80 kilos, Olga, parfois, me fait peur – dans Olga, il y a ogre, n’est-ce pas ? Olga qui engloutit, Olga qui dévore depuis que Kate est réapparue. Kate, qui sentait bon le mimosa et me prenait dans ses bras en m’appelant Léo. Kate est revenue ! s’est-elle écriée l’autre soir en pâlissant avant de s’enfuir dans la cuisine. Luc s’est figé, les autres ont plongé dans leur assiette. Moi j’ai dressé l’oreille. L’oignon, ça aiguise les sens. Si Olga se souvient de tout, Luc n’a rien oublié – et votre serviteur à présent jubile, allongé dans son joli panier tressé. Quand Kate a disparu, Olga n’a pas mis longtemps à arriver, son filet d’oignons à la main, l’étrille une fois par semaine, et ce surnom ridicule – gros toutou. Luc a laissé faire et lui a même fait deux enfants. Je ne l’ai pas digéré. Et je leur garde un chien de ma chienne. Pour tout. Toutou, les oignons, Tom et Mina, qui ne m’ont jamais pris dans leurs bras. Quand Olga est ressortie de la cuisine, l’autre soir, ça sentait le roussi.

C.L.

Céline Quiniou

Le fils

Elle m’accompagnerait jusqu’à la porte. Elle l’a promis. Elle ferait au moins les présentations. On n’a pas fait tout ce chemin, pas eu toutes ces engueulades pour qu’elle me plante comme ça au dernier moment. Elle a dit hier, après le voyage : « laisse moi seule ce soir. Demain matin, on débarque à 8 heures tapantes. Ils ne savent pas encore. On leur fera la surprise ».

Tu parles. Elle a couché une fois, il y a vingt ans. Elle est partie sans rien dire. La surprise c’est moi. C’est comme ça qu’elle m’a résumé la situation. Elle a attendu mes dix-huit ans, pour me cracher le début de l’histoire.

Voilà que j’ai la trouille. Cinq ans que je la tanne. Cinq ans que je lui dis  « vivre sans savoir qui est son père c’est boiter toute sa vie » . J’ai rien trouvé de mieux. Elle si. Elle a toujours réponse à tout.

A me redire chaque matin que de vouloir lutter contre la marée c’est le plus sûr moyen de se noyer. Que la vie est ainsi. Y a des choses qu’on ne change pas.

Elle a eu beau simuler l’indifférence, j’ai pas lâché. Moi aussi, j’ai appris à répéter chaque matin la même litanie : une seule fois et on n’en parle plus. Une seule fois, le regarder dans les yeux. J’aimerais pas être à sa place. Lui, il sait rien. Elle, elle ne voulait plus jamais en entendre parler. Depuis ce jour, celui où elle s’est arrachée, elle se tient à distance de l’océan, ignore les marées, refuse le ressac. Elle a été malade pendant toute la traversée. Qu’est-ce qu’elle fout ? Et ce chien qui n’arrête pas d’aboyer.

C.Q.

Fanny Soulard

Félix dormait tranquillement sur une chaise longue à l’ombre d’un vieil olivier, son arbre préféré. De la terrasse juste à côté lui parvenaient des gazouillis incompréhensibles mais suffisamment sonores pour le déranger dans sa sieste. C’était l’heure de l’apéro qui, chaque soir, venait perturber son sommeil. Les hommes sont vraiment très bruyants, se disait-il. Ils parlent fort, rigolent fort, crient fort, gesticulent et s’agitent comme des puces. Depuis 15 ans qu’il passait chaque été sur cette île, dans cette même maison, avec les mêmes deux-pattes, et il n’arrivait toujours pas à s’habituer à leur niveau sonore. Pour Félix, sa tranquillité c’était sacré, aussi sacré que l’était la cuisine pour sa maîtresse Olga. Bon, dans un moment, il descendra sur le port voir les copains et renifler les bateaux de pêche. Olga elle est gentille, et surtout elle cuisine bien les restes, avec beaucoup d’huile d’olive, et ça Félix il raffole ! Elle est gentille Olga mais pas aussi douce et câline que Kate. C’est drôle il ne la voit plus depuis bien longtemps Kate. L’autre jour, pendant sa sieste, il a rêvé d’elle. Elle le caressait tout partout, l’embrassait sur le museau et lui chantait une chanson douce à l’oreille. Quand le téléphone a sonné, son rêve s’est interrompu. Olga a parlé. Un grand silence a traversé l’espace suivi d’un bruit mat de chaise qui tombe. Un seul mot de Luc et Félix comprit au frémissement dans sa voix que Kate était de retour.

F.S.

Christine Clamens

Sa photo pleine page en couverture lui a sauté aux yeux. Georges l’a reconnue à l’instant où il a déplié le journal. Un peu plus âgée mais aussi belle, telle qu’il l’avait vue ce jour là.

Georges revoit la scène comme si elle était d’hier. C’était ici, à l’estive, un matin comme celui-ci. Il était assis au milieu de ses brebis. Le couple était entré dans son champ de vision, une présence dense soudain dans ce lieu solitaire, elle surtout. Lui tout entier tourné vers elle, jeune, belle, fermée. Ils ne l’avaient pas remarqué. Dans ses vêtements passe-muraille, il se fond dans le décor de roches et de troupeau posés sur la prairie. Ils avaient marché jusqu’au promontoire qui domine la mer. Silence rompu par le seul tintement des clochettes des brebis à la pâture. Azur infini. L’air était doux comme en cet instant. Georges ne pouvait les entendre mais les corps parlent à ceux qui savent regarder : lui l’approchait tendre, elle s’esquivait butée, il la poursuivait, elle s’arrêtait visage sérieux et se laissait étreindre sans s’abandonner, puis se déprenait. Une volonté et un désir s’affrontaient sous les yeux de Georges. Lorsqu’ils avaient quitté les lieux, silencieux, la volonté avait triomphé et la rupture était consommée.

L’inconnue était revenue sur l’île, commente l’article, après un premier séjour quinze ans plus tôt. Elle se prénommait Kate. Elle a été retrouvée noyée, au pied de la falaise. Georges replie le journal et s’étonne : ses mains tremblent.

C.C.

Ghislaine Le Dizès

Chaque année, même rengaine. Sept cent-cinquante kilomètres depuis Paris, ils ont droit aux sièges en mousse, et bien entendu moi au box derrière le hayon. Du coup, j’arrive en loques (haillons, loques, bon…). Mes vieux os supportent de moins en moins la position statique en boule dans cette fichue caisse en plastique.

Heureusement l’air marin me fouette en arrivant. Le vent, les algues, je saute hors du coffre et respire, les oreilles au vent. Et là, pile poil (poil fauve et blanc, en ce qui me concerne), je l’aperçois qui s’agite sur la plage.

La bicoque de mes maîtres la surplombe à pic, la plage. Lui en bas, roux et neige comme moi (un épagneul ? Je ne distingue pas bien, j’ai dix ans et ma vue baisse…), renifle, tourne en rond, jappe, gémit… Sa maîtresse gesticule et l’appelle : il s’en moque comme de son premier os. Je la connais, elle s’appelle Amalia, elle était déjà là l’année dernière. Je me demande si elle fréquente nos voisins, cette bande de copains bobos en permanentes crises de couple. Cette année en plus il va y avoir Bernard et Phoebe (mon Dieu ! Phoebe ! Où est-ce qu’on peut aller chercher des prénoms pareils ?), avec lui qui déprime depuis la crise des subprimes (subprime, déprime, bon…). La maison d’à côté cet été ça risque d’être joyeux. Heureusement qu’Olga, l’obsédée de cuisine, me passe les casseroles à lécher. Et soudain Amélia crie. C’est un cadavre, elle dit. Le truc qui flotte sur l’eau, en bas, sous la truffe affriolée de mon pote, c’est un cadavre.

G.LD

Orane Chalvet-Parent

Le tian aux rougets

Gêné, le vieux pêcheur pose son cabas un peu à l’écart d’Olga, assise devant le cabanon gavé de soleil. Elle lime ses ongles, pensive, triste peut-être, guette son portable, à l’odeur, veille sur le repas qui mijote… une femme mène tout ça à la fois, comment elle fait, mystère.

Gino l’aime bien Olga… depuis le temps. Comme elle, Marjo était efficace, il sort pipe et paquet de gris d’un pantalon trop large, pince juste ce qu’il faut de tabac et bourre le fourneau, mais elle, elle n’aurait pas perdu son temps à se turlupiner la cervelle !

« Té encore chaud ce soir ! » ose t-il s’essuyant le front d’un vieux mouchoir à carreaux. Olga lève enfin les yeux, un maigre sourire le salue. Gino tient ses reins et se penche, le jardin ça use mais ça occupe bien té, soulève le cabas et l’ouvre sur les tomates, les aubergines et le basilic frais.

« Fallait pas Gino…» dit Olga comme à son habitude, « …trop pour moi tout seul » fait-il amer, la solitude des vieux sur l’île on s’en fout bien hein, les touristes profitent, et après hein ?

Le briquet d’amadou rallume le gris. « Hum, ça sent bon Olga ! ». Mais elle n’entend plus et rentre les légumes dans la cuisine, ne pas revivre ça, éloigner cette…Kate…

Lui cependant la suit. Enivré par les odeurs du tian aux rougets, la tête lui tourne,  il devient dingue, se voit prendre cette femme dans ses bras… sa peau, ses lèvres… Marjolaine, Marjo…

Le vieux en est abasourdi. Hébété, il baisse les yeux et accepte le pastis que lui tend Olga…

O. CP

Véronique Hirbec

Olga, ma fille. Je la regarde de biais. Comme je l’aime ! Je suis heureuse qu’elle m’ait demandé de venir passer quelques jours avec eux ici. Comme tu es belle, ma fille. Je me rappelle les baisers que j’aimais déposer dans le petit creux de ta nuque… sous la lisière des cheveux, tu étais un si joli bébé fille. Aujourd’hui je t’observe dans la cuisine, occupée à couper de l’ail frais, les mains un peu rougies par l’eau froide. Une alliance à l’annulaire. Ton mariage, je me rappelle tes cheveux blondis par l’été et tes yeux rieurs. Je me rappelle ton corps de jeune fille, habité par cet amour infini que tu avais pour Luc, tout entière tournée vers ton désir. Le joli mariage… Toi, toute en rondeurs, si fraîche et pleine de vie. Luc, mince et séduisant, le teint hâlé des sportifs, et ce blanc des yeux brillant entourant un iris noisette. Sourire enjôleur et amoureux. Il l’était sans aucun doute. Quelque chose m’avait pourtant mise en alerte dans ce visage aux traits trop réguliers. Quelque chose d’imperceptible. Mais j’avais eu honte de mes sentiments. Tu avais l’air si confiante, si lumineuse. J’avais vite chassé mes pensées. Pourvu que tu sois heureuse et qu’il te soit fidèle. Et là aujourd’hui je te regarde, vingt cinq ans plus tard, les épaules un peu plus rondes, les seins un peu plus lourds, les taches de rousseur, sous les yeux bleus toujours rieurs, le même regard un peu plus grave, un peu plus doux. Comme tu es belle ! Et Luc… mais Luc, au fait où est-il donc passé ?

V.H.

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