Cette semaine, Solange de Fréminville vous propose d’écrire à partir du roman de Patrick Modiano: « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier ». Envoyez-nous vos textes (1500 signes maximum) jusqu’au 20 décembre à l’adresse suivante: atelierouvert@inventoire.com. Une sélection de ces textes sera publiée 15 jours plus tard.
Extrait
« Cet après-midi de l’année dernière, […] il demanda au chauffeur de taxi de prendre à droite la rue Coustou. Il s’était trompé quand il croyait voir de loin l’enseigne du garage, puisque le garage avait disparu. Et aussi, sur le même trottoir, la devanture de bois noir du Néant. Des deux côtés, les façades des immeubles paraissaient neuves, comme recouvertes d’un enduit ou d’une pellicule de cellophane d’un blanc qui avait effacé les fissures et les taches du passé. Et, derrière, en profondeur, on avait dû se livrer à une taxidermie qui achevait de faire le vide. Rue Puget, un mur blanc remplaçait les boiseries et le vitrail de l’Aero, de ce blanc neutre couleur de l’oubli. Lui aussi, pendant plus de quarante ans, il avait fait un blanc sur la période où il écrivait ce premier livre et sur l’été où il se promenait tout seul avec dans sa poche la feuille pliée en quatre : POUR QUE TU NE TE PERDES PAS DANS LE QUARTIER. »
Suggestion
Dans le dernier roman de Patrick Modiano, « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » (Gallimard, 2014), tout part d’un carnet d’adresses égaré. Daragane, le héros, probable double de l’auteur, est écrivain. Il reçoit un jour un coup de téléphone. Un homme a retrouvé son carnet d’adresses et désire le lui remettre en mains propres. Les deux hommes se voient. Celui qui l’a retrouvé est accompagné d’une femme mystérieuse. Il parle à Daragane d’une enquête en cours. Dans son dossier, un nom l’intrigue, un même nom qui apparaît dans le carnet d’adresses de Daragane. Très vite, d’autres noms surgissent, d’autres événements surviennent, venus du passé, brouillant le présent comme l’esprit du narrateur. Introspection et enquête se mêlent sans qu’on puisse démêler l’une de l’autre.
« Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier »… est une phrase qui nous ramène à l’enfance, avec ce papier glissé dans notre poche et une adresse dessus…
Et si vous imaginiez à votre tour que vous retrouvez un quartier que vous avez connu autrefois ? Peut-être à Paris, comme Daragane, mais c’est encore mieux s’il s’agit de «votre» ville. Un coin où vous avez déambulé, que vous connaissez bien, où se mêlent des souvenirs précis et des souvenirs flous… Vous allez refaire un trajet que vous connaissiez, mais c’est un autre trajet que vous allez écrire… Celui de la mémoire et de l’oubli, celui du surgissement de souvenirs précis ou impalpables, ce que Modiano appelle des «fragments du passé», des « traces interrompues », « comme une pièce de puzzle que l’on a perdue »…
Je vous invite à restituer le surgissement des souvenirs, les oublis, les tentatives de préciser les détails, de retrouver l’exactitude des choses ou des gens que vous avez connus dans un quartier sous la forme d’un petit récit (un feuillet standard, soit 1500 signes, au maximum).
Lecture
« Presque rien ». C’est ainsi que démarre le dernier roman de Patrick Modiano, à l’image de toute son œuvre, construite sur le flou, traversée par des personnages à l’identité trouble, à la mémoire chancelante, à l’histoire imprécise et flottante. Le livre répète les motifs de l’amnésie et de l’oubli jusqu’à l’obsession : «… Il éprouvait un sentiment d’angoisse et de manque tant qu’il ne l’avait pas relié à l’ensemble, comme une pièce de puzzle que l’on a perdue » (p. 66) ; « À mesure qu’ils marchaient tous les deux, il se sentait gagné par une douce amnésie » (p. 105).
Auteur de trente romans, de scénarios, de livres pour enfants, de chansons, lauréat du Prix Goncourt en 1978 avec Rue des Boutiques Obscures et du prix Nobel de littérature en 2014, Patrick Modiano se consacre à l’écriture depuis l’âge de 22 ans (en 1967).
Né d’une actrice flamande et d’un homme d’affaires italien, il traite de façon récurrente les thèmes de la disparition, de l’identité et du temps qui passe. «Être né en 1945 m’a rendu plus sensible aux thèmes de la mémoire et de l’oubli », souligne-t-il. Reviennent également dans son œuvre la quête et l’enquête, autour de son passé ou de personnes disparues.
Paris, sa ville natale, est le décor de tous ses romans : « Pour ceux qui y sont nés et y ont vécu, à mesure que les années passent, chaque quartier, chaque rue d’une ville, évoque un souvenir, une rencontre, un chagrin, un moment de bonheur. Et souvent la même rue est liée pour vous à des souvenirs successifs, si bien que grâce à la topographie d’une ville, c’est toute votre vie qui vous revient à la mémoire par couches successives » (discours de réception du Prix Nobel).
S.de F.
Solange de Fréminville conduit des ateliers d’écriture à Paris pour Aleph-Écriture, notamment un atelier ouvert en librairie et le cycle Écrire avec les auteurs contemporains.